Une histoire centrée sur le soin

Au XIXe siècle, face au problème de mortalité infantile surtout due au manque d’hygiène, Félicien Marbeau, adjoint au maire du 1er arrondissement de Paris, crée la première crèche. Les crèches sont alors essentiellement destinées aux enfants d’ouvriers et évitent à la mère d’abandonner son travail ou de confier son enfant à une nourrice ou à sa famille. Créées aussi contre l’infanticide et les avortements, elles ont aussi eu pour but de lutter contre le rachitisme, une maladie du développement de l’enfant.

Aujourd’hui, avec l’évolution de la société, l’enjeu n’est plus uniquement de garantir la sécurité et la bonne santé du jeune enfant. L’enquête IGAS sur la Petite Enfance publiée en avril 2023 pointe du doigt : « l’enjeu reste néanmoins pour cet accueil de se défaire du modèle hygiéniste de prise en charge de l’enfant malade, dont le système français ne semble qu’en partie sorti ». Pierre Moisset, sociologue spécialisé sur l’accueil de la petite enfance, souligne dans sa chronique sur le rapport IGAS  que l’enfant est encore vu comme un « objet de soin ». Il déplore également « les conditions d’exercice de professionnels dont les formations professionnelles laissent trop peu de places à la question de l’accueil de l’enfant et de sa bientraitance ».

Adapter les pratiques aux approches pédagogiques, aux recommandations, ainsi qu’à des méthodes d’observation et d’évaluation continuellement à jour à mesure que de nouvelles recherches sont menées est un enjeu pour le secteur. Le rapport IGAS sur la Petite Enfance souligne d’ailleurs ce besoin et le détaille dans son axe 3 « Œuvrer à une montée en qualification globale des professionnels, en lien avec le secteur de la recherche”.

Les programmes de formation initiale des métiers de la petite enfance, CAP Petite Enfance comme EJE, doivent être interrogés et revus pour répondre à ces enjeux. Accompagner les professionnels en poste dans le développement de leurs connaissances et compétences est également impératif.

Dans le même ordre d’idée, du côté des familles, plus question de voir l’établissement d’accueil comme un sanctuaire interdit d’accès, comme cela a longtemps été le cas dans les crèches.  Le parent est aujourd’hui partie prenante du projet d’accueil de son enfant dans la crèche : il souhaite savoir de quoi est constituée sa journée, qui l’accueille, quelles sont les pédagogies mises en œuvre, quel est le projet de la crèche… Réfléchir en équipe pour intégrer le parent, savoir bien communiquer avec lui pour créer la relation de confiance, autant de sujets qui demandent aux professionnels de mettre en œuvre des compétences qui sont parfois loin de celles auxquels ils ont été préparés.

Un secteur en mutation

Le secteur de la petite enfance est en mutation, et ce depuis plus de 20 ans. Les crèches privées d’entreprise ont vu le jour au début des années 2000, les micro-crèches à la fin de la même décennie. Leur développement a été constant depuis, et exponentiel pour les micro-crèches : entre 2010 et ce jour puisque leur nombre est passé de 500 à 6 000 !

Le développement de l’offre impacte le secteur à plusieurs niveaux. D’une part, il crée une tension sur les ressources humaines, entre les offres d’emploi et les candidats. Ainsi, entre 2015 et 2019, on observe l’augmentation des offres d’emploi suivantes : + 56% (8 700 à 13 600) pour les Auxiliaires de Puériculture et +41% (8 700 à 12 300) pour les Éducateurs de Jeunes Enfants. Paradoxalement, entre 2011 et 2019, le nombre de diplômés a très peu augmenté : +16% (4 226 à̀ 4 883) pour le Diplôme d’Etat d’Auxiliaire de Puériculture et +11% (1 406 à 1 556) pour le Diplôme d’État d’Éducateur de Jeunes Enfants. Un déficit d’environ 19 500 diplômés en 2019 !

Ce constat ne va malheureusement pas aller en s’améliorant. L’État souhaite créer 100 000 places en crèches d’ici 2027 et 200 000 d’ici 2030. Selon la FFEC (Fédération Française des Entreprises de Crèches), il faudrait pas moins de 100 000 professionnels supplémentaires dans les EAJE pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement.

D’autre part, le développement de l’offre entraîne également une inadéquation entre les compétences des professionnels et les besoins du métier. Petites structures qui ont tout d’une grande, les micro-crèches sont en effet gourmandes en ressources et notamment en EJE à qui le gestionnaire confie la référence technique d’une ou plusieurs structures. Or les missions confiées à l’EJE vont bien au-delà de l’accueil de l’enfant, de la pédagogie ou de la mise en œuvre du projet d’établissement puisque ce professionnel est le plus souvent amené à manager l’équipe de sa micro-crèche, voire parfois 2 ou 3 équipes de micro-crèches. Quand on sait que sa formation initiale comprend très peu de management, on comprend que nombre d’EJE et d’équipes puissent se retrouver en souffrance…

Accompagner ces professionnels en poste dans le développement de compétences managériales est donc une nécessité à court terme.

Développer les effectifs d’EJE et faire évoluer la formation initiale pour l’adapter aux besoins du secteur est un autre impératif, pour le moyen et long terme.

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Sources :

Moussy, Bernadette. « Chap 1. Court historique des crèches », , La pédagogie active à la crèche. Pour des enfants autonomes, libres et authentiques, sous la direction de Rétif Nathalie. Dunod, 2017, pp. 37-41.

Rapport IGAS Petite Enfance “Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches” https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2022-062r_tome_1.pdf

Observatoire Emploi Formation CPNEF les métiers en tension 2021 : http://www.cpnef.com/images/stories/maquette/observatoire/notes-cadrage/Panorama/Panorama_2021.pdf